Le concept d’hospitalisations potentiellement évitables (HPE) est né aux Etats Unis dans les années 90. On entendait sous le vocable HPE « les hospitalisations nécessaires au moment de l’admission à l’hôpital, mais qui auraient pu être évitées avec une prise en charge appropriée des soins de premier recours. »
Au début des années 90, les études américaines soulignaient qu’un quart des admissions des non-assurés auraient été évitables si les patients avaient reçu des soins ambulatoires appropriés à temps, de qualité et en quantité. (Uninsured patients in District of Columbia hospitals. Billings J, Teicholz N.Health Aff (Millwood). 1990 Winter;9(4):158-65. doi: 10.1377/hlthaff.9.4.158.PMID: 2289752)
En 1992, JS Weissman et coll publient dans le JAMA une liste de 12 pathologies sensibles aux soins ambulatoires, ce qui les conduit à construire l’indicateur HPE (%, taux ajusté sur âge et sexe pour 1000 hab.(Rates of avoidable hospitalization by insurance status in Massachusetts and Maryland.Weissman JS, Gatsonis C, Epstein AM. JAMA. 1992 Nov 4;268(17):2388-94.PMID:1404795).
Par la suite, cet indicateur HPE fut enrichi d’autres critères, comme le type d’hospitalisation, le mode d’entrée (urgence ou non), les diagnostics associés, etc. Toutefois, le motif principal d’hospitalisation devait avoir un code CIM 10 correspondant à l’une des 12 pathologies HPE. D’autres auteurs proposèrent une méthodologie plus fine où, pour chaque pathologie HPE, des critères d’inclusion ou d’exclusion relatifs à l’âge du patient et à l’existence pendant le séjour hospitalier de certaines procédures diagnostiques et/ou thérapeutiques, ou encore des comorbidités associées à la pathologie principale.
Ce concept d’HPE fut adopté en France en 2014 avec la publication par la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS) et l’Agence Technique de l’Information sur l’Hospitalisation (ATIH) d’un manuel permettant de calculer l’index HPE. (https://www.scansante.fr/sites/default/files/content/396/vf_-_guide_hpe_2018_03_20.pdf).
La carte sur les taux d’HPE standardisés par département pour 1000 habitants (tableau 1) montre un gradient nord-sud. Les taux d’HPE les plus faibles sont au sein des populations vivant le long du littoral atlantique ou du littoral méditerranéen, ainsi que dans les régions montagneuses. Les taux les plus élevés sont dans le nord de l’hexagone et l’Ile de France, régions où l’offre hospitalière est importante.
En utilisant les critères de l’Agency for Healthcare Research and Quality (AHRQ) qui ciblent seulement six des 12 pathologies de Weissmann (dont l’insuffisance cardiaque, l’infarctus du myocarde, la BPCO, le diabète, etc.), on obtient un meilleur repérage des populations à risque d’HPE et une identification facilitée des actions correctrices à mener.
Le tableau 2 montre que parmi les 12 pathologies de Weissmann, six représentent 90% des taux d’HPE (insuffisance cardiaque : 34%, BPCO : 23%, ulcère gastro-duodénal compliqué : 10%, complications aiguës du diabète : 9%, hypokaliémie : 8,5%, pathologies infectieuses pouvant être prévenues par la vaccination : 5,7%). En 2007, les taux d’HPE pour 4 pathologies (asthme, BPCO, complications du diabète, insuffisance cardiaque congestive) ont été étudiés dans 19 pays de l’OCDE (hors la France). Ils ont montré de grandes variations selon les pays et les pathologies.
La télémédecine peut-elle contribuer à réduire les taux d’HPE ?
Cette question mérite d’être posée, malgré des preuves scientifiques encore discordantes sur le sujet (https://telemedaction.org/423570493/429367907)(https://telemedaction.org/422016875/448316348).
La téléconsultation permet une meilleure accessibilité aux soins primaires ambulatoires
La démonstration a été faite dans plusieurs études internationales. Ce fut en particulier le cas pendant la période pandémique à la Covid-19. La téléconsultation est considérée comme non-inférieure à la consultation en présentiel, à la condition qu’elle soit réalisée en Visio et alternée à la consultation en présentiel chez les patients atteints de maladies chroniques (The effectiveness of teleconsultations in primary care: systematic review. Carrillo de Albornoz S, Sia KL, Harris A. Fam Pract. 2022 Jan 19;39(1):168-182. doi: 10.1093/fampra/cmab077.PMID: 34278421). En améliorant l’accès aux soins primaires, elle ne peut avoir qu’un impact favorable sur les taux d’HPE.
La téléexpertise empêche la rupture dans la continuité des soins, en particulier chez les malades atteints de maladies chroniques.
Bien qu’elle soit encore mal comprise et peu utilisée en France par les acteurs du secteur ambulatoire, ce fut la pratique de télémédecine qui démontra, dès les années 90 en région Midi-Pyrénées, son impact favorable sur le transfert et l’hospitalisation des patients dans les services spécialisés des CHU et gros CHG. Un dialogue entre professionnels de santé permet d’améliorer le diagnostic et évite la rupture dans la continuité des soins, en particulier pour les spécialités dont les délais de rendez-vous en présentiel sont à l’origine de pertes de chance et d’HPE (https://telemedaction.org/422783742/422886029).
La télésurveillance médicale au domicile des patients atteints de maladies chroniques peut prévenir les HPE.
La démonstration scientifique a été faite dans plusieurs études récentes, en particulier chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque lorsqu’ils sont accompagnés par un professionnel de santé infirmier (A telemonitoring programme in patients with heart failure in France: a cost-utility analysis. Caillon M, Sabatier R, Legallois D, Courouve L, Donio V, Boudevin F, de Chalus T, Hauchard K, Belin A, Milliez P. BMC Cardiovasc Disord. 2022 Oct 10;22(1):441. doi: 10.1186/s12872-022-02878-1.PMID: 36217130) (Clinical effectiveness and cost-effectiveness of ambulatory heart failure nurse-led services: an integrated review. Driscoll A, Gao L, Watts JJ.BMC Cardiovasc Disord. 2022 Feb 22;22(1):64. doi: 10.1186/s12872-022-02509-9.PMID: 35193503).
Le même impact a été observé chez les patients atteints de BPCO (Effectiveness of a home telemonitoring program for patients with chronic obstructive pulmonary disease in Germany: Evidence from the first three years.Hofer F, Schreyögg J, Stargardt T.PLoS One. 2022 May 12;17(5):e0267952. doi: 10.1371/journal.pone.0267952. eCollection 2022.PMID:35551546).
La télésurveillance médicale pourrait avoir un impact favorable sur les taux d’HPE, non seulement par l’utilisation de dispositifs médicaux numériques (DMN) (https://telemedaction.org/437100423/d-cret-t-l-surveillance-m-dicale), mais également par l’usage de pratiques combinées de télémédecine et d’applis compagnons (Telemedicine application in patients with chronic disease: a systematic review and meta-analysis. Ma Y, Zhao C, Zhao Y, Lu J, Jiang H, Cao Y, Xu Y.BMC Med Inform Decis Mak. 2022 Apr 19;22(1):105. doi: 10.1186/s12911-022-01845-2.PMID: 35440082).
L’engagement des patients chroniques grâce à des dossiers numériques de santé centrés sur le patient, comme peut le devenir Mon Espace santé en France, prévient également les hospitalisations et les venues aux urgences (Patient-Centered Digital Health Records and Their Effects on Health Outcomes: Systematic Review. Brands MR, Gouw SC, Beestrum M, Cronin RM, Fijnvandraat K, Badawy SM.J Med Internet Res. 2022 Dec 22;24(12):e43086. doi: 10.2196/43086.PMID: 36548034).
7 mars 2023
Dr Pierre Simon
Fondateur et ancien Président de la Société Française de Télémédecine