Systèmes de santé en Afrique : l’apport déterminant de l’e-santé et des technologies du numérique

Le défi posé aux pays africains en termes de développement du secteur de la santé reste le renforcement des systèmes nationaux de santé dans toutes leurs composantes en vue de fournir des prestations durables, de qualité, dans un environnement de garantie de sécurité, accessibles géographiquement et financièrement pour tous. Pour relever ce défi, les ministères en charge de la Santé ont besoin de rationaliser leurs dépenses, de mutualiser l’utilisation des infrastructures, de bien former et employer leur personnel, de rapprocher les populations des structures sanitaires, de mettre en place des infrastructures et un plateau technique médical appropriés, et d’assurer une meilleure prévention et prise en charge des maladies épidémiques. Les États africains se sont inscrits aussi dans l’atteinte de plusieurs objectifs mentionnés dans des agendas internationaux, en particulier la couverture santé universelle et le développement durable. La cybersanté a été identifiée comme outil transversal pouvant contribuer au renforcement des systèmes nationaux de santé.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la cybersanté consiste à utiliser, selon des modalités sûres et offrant un bon rapport coût/efficacité, les technologies de l’information et de la communication (TIC) à l’appui de l’action de santé et dans des domaines connexes. La cybersanté, ou santé numérique, est un terme générique qui recouvre divers domaines, comme l’informatique de la santé, le numérique au service de la santé, la télésanté, la télémédecine, le cyber-apprentissage, et la téléphonie mobile au service de santé.

Ces technologies comprennent la radio, la télévision, la téléphonie mobile, les ordinateurs, le matériel réseau et les logiciels, ainsi que les services et applications y afférents, y compris le service de vidéoconférence et de téléapprentissage.

Dans cette perspective et conformément aux résolutions et recommandations de l’OMS pour l’utilisation pleine et efficace de la cybersanté, certains ministères de la Santé se sont engagés dans un processus d’élaboration d’une stratégie nationale qui va fédérer toutes les initiatives en cours et va proposer un plan d’action clair à partir de sa vision et de ses objectifs stratégiques.

Cela s’inscrit dans le cadre du suivi des recommandations de l’atelier régional de Dakar en 2013 organisé par l’OMS et l’Union internationale des télécommunications (UIT) sur les stratégies nationales de cybersanté en vue d’améliorer l’état de santé des femmes et des enfants, de l’atelier régional Africa e-santé de Bassam en 2015 organisé par le Réseau international de sécurité des patients et l’amélioration de la qualité des soins (Ripaqs) et l’Organisation ouest-africaine de la santé (OOAS) sur l’introduction des technologies du numérique dans le secteur de la santé dans l’espace de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), la réunion de haut niveau UIT/OMS sur la santé numérique de Genève en 2016 en marge de l’Assemblée mondiale de la santé et du forum régional Africa IBC-santé de Bassam en 2017.

À cet effet, les contributions de la société civile seront un élément indispensable dans cette démarche d’ancrage institutionnel de la santé numérique en Afrique. Le forum régional Africa E-IBC santé 2018 du 14-17 novembre 2017 à Grand-Bassam, Côte d’Ivoire, a ainsi porté sur le thème «Opérationnalisation de l’utilisation des technologies du numérique et de la participation communautaire dans l’action sanitaire publique en Afrique: quels impacts sur l’amélioration des indicateurs de santé ? »[1] Ce forum aura été une autre étape vers une réponse à la question essentielle qui est de savoir comment les technologies du numérique peuvent améliorer les soins et ainsi contribuer à la gestion des grands défis des systèmes de santé, tels que l’amélioration de la performance des systèmes de santé en Afrique.

1-TIC et performance des systèmes de santé

En Afrique, les systèmes de santé, en général peu performants, reposent sur une multitude de structures, d’acteurs, de technologies qui génèrent de nombreux risques liés à l’utilisation des produits de santé (médicaments, produits sanguins, dispositifs médicaux…), aux prestations de soins elles-mêmes (risques infectieux, chirurgical et déchets médicaux) ou à l’organisation des soins (transmissions d’informations, procédures et protocoles…). Ainsi, la faible qualité de l’organisation des soins et services de santé affecte l’ensemble des composantes des systèmes de santé, en les rendant fragiles et peu performants, avec pour conséquence une forte mortalité et morbidité des patients, la désaffection des structures d’offre de soins par les populations et les fréquentes évacuations sanitaires vers les établissements de santé des pays développés jugés plus sûrs en termes de qualité des soins, mais très coûteux pour le budget des États.

En effet, faute d’investissements conséquents pour moderniser les plateaux techniques et les systèmes nationaux de santé, les pays africains ne tirent encore aucun parti de l’application des technologies numériques aux activités de santé – en raccourci e-santé –, pourtant source d’améliorations profondes pour les patients comme pour les professionnels et, très rapidement, d’économies substantielles.

La généralisation de l’application des technologies numériques à la santé modifie la place du patient, de plus en plus acteur de sa santé. La personne va enfin être au cœur de l’organisation des soins, pensée en fonction d’elle et non de sa maladie. Le succès des sites Internet santé et le niveau d’information croissant des patients changent le dialogue avec le médecin.

La e-santé, c’est une meilleure qualité des soins, une gestion coordonnée des risques et une plus grande sécurité des patients, cela à travers entre autres exemples, la traçabilité des actes médicaux, la transmission de données entre établissements et professionnels de santé, les dossiers médicaux numériques, la surveillance à distance des personnes atteintes de maladies chroniques comme le diabète, l’asthme ou l’insuffisance rénale.

La e-santé, c’est une réponse aux préoccupations d’une société en recherche d’autonomie, une meilleure égalité de tous dans l’accès aux soins, une nouvelle vision du vieillissement et de la dépendance, favorisant notamment le maintien à domicile. Ce sont aussi les nouvelles techniques qui améliorent considérablement les capacités diagnostiques (par exemple l’examen automatique du fond d’œil sans dilatation préalable de l’iris pour les diabétiques).

La e-santé est le corollaire incontournable de la révolution médicale en cours, grâce aux avancées scientifiques et technologiques considérables : séquençage du génome humain, étude du polymorphisme des gènes, pharmaco-génomique, imagerie fonctionnelle, nanotechnologies, biologie de synthèse. Leur application à la médecine ne peut se concevoir sans le numérique.

La e-santé, c’est enfin une filière industrielle au potentiel économique considérable, au carrefour des technologies de santé, de la microélectronique et des TIC, trois domaines où l’Afrique possède de grands atouts et potentialités. La structuration de la filière numérique dédiée à la santé est une opportunité majeure pour les entreprises et les PME innovantes de ces secteurs. Quant à l’éducation à la santé via le numérique, elle va jouer un rôle important dans l’efficacité de la prise en charge et de la prévention des pathologies.

La santé à domicile va remplacer l’hospitalisation systématique. Les impacts en sont énormes, tant sur le plan psychologique pour les malades, que sur le plan des économies induites et pour le confort de travail des personnels hospitaliers, qui pourront se recentrer sur les actions exigeant l’hospitalisation.

Les enjeux de l’utilisation des TIC dans le secteur de la santé

 Les technologies du numérique (TIC) connaissent un véritable essor dans le domaine de la santé au cours de ces dernières années en Afrique. Ainsi, en réduisant les distances et facilitant les échanges rapides, elles entraînent une transformation des modèles traditionnels d’offres de soins et peuvent contribuer à une amélioration précieuse des services de santé.

À cet effet, la santé numérique peut renforcer l’accès aux soins de santé, améliorer la qualité et réduire les coûts d’approvisionnement et permettre aux patients et aux communautés d’assumer une plus grande responsabilité dans la gestion de leur propre santé En effet, avec un taux de pénétration de ces technologies du numérique proche de 70% dans certains pays (90% en Côte d’Ivoire), il est désormais reconnu que plus de 2% des dépenses en Afrique sont consacrées aux investissements de cette nature avec une croissance annuelle forte de 9% et un fort potentiel d’amélioration des indicateurs de santé. »

Ainsi, les évolutions des années à venir des TIC dans le secteur de la santé laissent entrevoir quatre enjeux structurels sur le continent:

  • le premier réside dans la capacité à promouvoir l’assurance santé. Celle-ci assure une protection contre les risques de non-paiement; le moment du paiement est dissocié de celui des soins, ce qui encourage l’utilisation des services ;
  • le deuxième consiste à pallier la pénurie de personnel de santé. C’est avec des solutions liées à la télémédecine, téléconsultation et télédiagnostic que les TIC peuvent aider à compenser en partie ces manques en ressources humaines qualifiées en particulier dans les zones reculées et de silence sanitaire ;
  • le troisième concerne l’amélioration des moyens de diagnostics médicaux. Ce sont aussi de nouvelles techniques fondées sur les technologies numériques qui peuvent améliorer considérablement les capacités diagnostiques ;
  • le quatrième porte sur le renforcement de la qualité et la densité des infrastructures générales de santé, depuis l’offre de soins dans les centres de soins jusqu’à la distribution de médicaments. Ici encore, les TIC ont un rôle à jouer en connectant les hôpitaux, en améliorant la gestion logistique des médicaments, etc. »

On retiendra les six finalités suivantes de la santé numérique en Afrique:

  • connecter les communautés éloignées, rurales et mal desservies avec des centres de référence et des soins experts ;
  •  former les fournisseurs de soins de santé (e-learning et formation diplômante…) ;
  • améliorer la qualité des soins pour le diagnostic, la supervision, etc.;
  • optimiser l’allocation des ressources et réduire les coûts des soins de santé grâce à une coordination plus efficace des soins (dossiers médicaux électroniques…) ;
  • améliorer la gestion des données pour la surveillance, les rapports, la responsabilisation et la surveillance;
  • faciliter les communications entre les agents de santé, les spécialistes et les patients.

2 – La formation du personnel de santé

 La nécessité de rendre la médecine rurale plus attrayante pour les jeunes médecins et les infirmières, l’utilisation de la mobilité dans la santé avec la chirurgie ambulatoire, le diagnostic à distance (et sur le lieu même du soin, un programme phare OMS), des relais Internet dans les campagnes, des outils qui tiennent au creux de la main, sur le lieu des soins grâce aux TIC, entraînent une véritable révolution dans les soins de santé en Afrique.

Les technologies numériques permettent de développer des soins de santé primaires en rendant performants les agents de santé communautaire, de simplifier les tournées des infirmières en milieu rural, d’améliorer le statut et le rendement du médecin, qu’il soit un universitaire de haut rang, un spécialiste dispensant des soins à distance, ou un soignant dans un cadre ambulatoire moderne.

À cet effet, suite au forum régional de Bassam, l’École supérieure africaine des techniques de l’information et de la communication (Esatic), qui est une école d’excellence entretenant une politique de recherche dynamique, enrichie par de nombreux partenariats, formant entre autres des cadres compétents dans le domaine des télécommunications, de l’informatique et de la régulation des TIC – notamment en matière de sécurisation des données et de développement de logiciels –, s’est engagée dans la diversification de ces offres de formation, en particulier dans le secteur de la e-santé.

Ainsi, le master international sur la santé numérique en Afrique (Misna) qui vient d’être créé, est la première formation diplômante et comporte un programme de master (sur deux ans) en e-santé qui vise à former de futurs spécialistes dans le secteur des TIC-santé, afin de pouvoir faire face aux enjeux technologiques et sociétaux liés à l’intégration des technologies du numérique dans la gouvernance et la production des prestations de soins et services dans les pays de l’espace francophone d’Afrique, d’Asie et de l’océan Indien.

L’objectif principal de cette formation professionnelle continue est de contribuer au renforcement de la transformation digitale du secteur de la santé en Afrique:

  • en donnant aux acteurs des systèmes de santé des connaissances sur l’utilisation des technologies du numérique;
  •  en favorisant la modification en profondeur de leurs méthodes de travail dans les structures de santé ;
  • en faisant évoluer leurs pratiques professionnelles dans les établissements et organisations de santé à travers l’usage des objets connectés.

Les performances de cette formation sont caractérisées par :

  • l’intégration de technologies innovantes du numérique dans le secteur de la santé ;
  • l’importance accordée aux perspectives internationales dans le traitement des problématiques des NTIC;
  • l’apport de la recherche-action qui place l’apprenant dans la situation d’un agent clé du changement au sein de son organisation;
  • le partenariat solidaire avec un réseau d’institutions régionales et internationales partenaires qui garantit une adéquation des travaux de terrain avec les préoccupations des décideurs en matière de TIC.

Ainsi, la maîtrise des usages technologies du numérique par les apprenants du master permettra de faciliter le contrôle et la surveillance des maladies, améliorer la capacité de recueil, d’analyse, de gestion et d’échange de l’information et de proposer des soins de grande qualité, équitables et sûrs. Elle permettra également de remplir les obligations en matière d’innovations, de recherche, d’enseignement à distance et de rapidité des interventions en cas d’urgence.

3 – Coopération des ministères des TIC et des ministères de la Santé

L’OMS rapporte que 73 des 116 États membres (63 %) ont défini des stratégies nationales de santé numérique et des plans correspondants pour les mettre en œuvre. De nombreux gouvernements s’attaquent désormais à la mise en œuvre de ces stratégies, mais les données de l’OMS indiquent que près de 40 % des pays, en particulier en Afrique, n’ont pas encore élaboré de stratégie numérique en matière de santé. Les gouvernements ont un rôle à jouer dans l’élaboration d’une législation appropriée pour assurer, entre autres, la protection des données et la vie privée, l’encadrement de la cybersécurité, la réglementation des dispositifs médicaux, les politiques de remboursement et la sécurité pour l’échange de données sensibles sur la santé.

Ils peuvent également jouer un rôle fondamental dans la promotion d’un environnement propice santé numérique. Ils peuvent aider à travers un mécanisme de coordination efficace, à éviter la duplication des efforts, à harmoniser les normes afin de promouvoir l’interopérabilité et à coordonner les parties prenantes dans les secteurs public et privé.

Ainsi, la mise en œuvre d’un cadre ou plan national de TIC-santé, coordonné entre les autorités de santé et de l’économie numérique (ministère de la Santé, ministère de la Communication, agence d’e-gouvernement), permet des politiques communes et des normes, soutenant ainsi l’interopérabilité des données et une efficacité dans la durée des interventions dans le domaine de la santé numérique. La coopération entre les ministères des TIC et de la santé permet de rationaliser les investissements et assure une responsabilité partagée dans leurs domaines d’expertise respectifs. Des mécanismes de gouvernance clairement définis non seulement aident à ancrer la coopération entre les ministères, mais organisent et orientent également l’aspect complexe de la gestion des parties prenantes d’une stratégie nationale de cybersanté.

[1] WHA58.28 et WHA66.26.

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